mercredi 2 septembre 2015

Sans tambour ni trompette de Claude Pujade-Renaud



Claude Pujade-Renaud, Sans tambour ni trompette, nouvelles, éd. Rhubarbe, août 2015, 60 pages.

On se souvient peut-être d’un moment du dialogue du film Domicile conjugal de François Truffaut :
« J’aimerais trouver un titre à mon livre.
– Il y a des tambours dans votre livre?
– Non.
– Des trompettes?
– Non.
– Alors appelez-le Sans Tambour Ni Trompette. »
La réplique est elle-même empruntée à un bon mot de la fin du XIXe ou du début du XXe – de Sacha Guitry ? De Jules Renard ? D’Aurélien Scholl ? Je ne sais plus. « Sans tambour ni trompette » est, quoiqu’il en soit, une expression qui renvoie à la pudeur, à l’humilité, à la discrétion.

Claude Pujade-Renaud, dans la nouvelle inaugurale du recueil qu’elle publie en cette rentrée aux éditions Rhubarbe, nouvelle qui porte ce titre et donne l’intitulé général du livre, s’amuse de l’expression. Tambour ? Celui de la machine à laver, bien sûr ! Trompette ? Celle de Louis Armstrong, quelle autre ? Dans la vie dévastée du personnage féminin de ce texte, au beau milieu d’une solitude terrible, désolée, le tambour de la machine à laver et la trompette du jazzman, soudain, s’accordent, suivent le même tempo, se répondent. C’est une sorte de miracle du quotidien, un instant suspendu de grâce et d’évidence. La femme dont la vie « tournait en rond », dont la vie semblait désaccordée, se met soudain à danser, comme libérée, soulagée. Jusqu’à ce que la magie cesse. Et la femme emploiera son temps vide à tenter de reproduire le miracle, mais c’est compter sans l’obsolescence programmée de l’électro-ménager…

Claude Pujade-Renaud est une de nos grandes nouvellistes. Dans Sans tambour ni trompette, elle livre cinq nouvelles plus ou moins longues, mais toutes tendues sur le fil de vies en équilibre. Un confesseur rencogné dans ce qu’il nomme sa « boîte vocale », un professeur à Vincennes qui fantasme sur les jambes d’une étudiante tandis que le président de l’Université est séquestré, une veuve parlant de la perte de l’aimé par le biais de sa compagne féline… Et ce très court texte qui met en parallèle Clarice Lispector et Ingeborg Bachmann, victimes toutes deux d’une cigarette qui ramasse les motifs du symbolique et de l’historique.

Ainsi sont les nouvellistes français contemporains, que les éditions Rhubarbe défendent et soutiennent, inlassablement : ils sont tenaces, attentifs aux signes qui échappent à tout un chacun ; ils pointent leur stylet-stylo sur ce qui fait la vie, dans son quotidien et sa plus vaste ampleur – sa vérité. Claude Pujade-Renaud est l’une de ces voix essentielles.