mercredi 6 avril 2016

La Carrière du mal de Robert Galbraith



Robert Galbraith, La Carrière du mal (Career of evil, 2015), traduit de l’anglais par Florianne Vidal, Grasset, 20 mars 2016, 608 pages.

Après L’Appel du coucou et Le Ver à soie, voici la troisième aventure de Cormoran Strike, le détective inventé par J.K. Rowling et publié sous le pseudonyme de Robert Galbraith. Un détective n’est rien, ou si peu, sans son assistante. La belle et empathique Robin est à nouveau de la partie. C’est elle qui reçoit l’étrange colis qui déclenche cette nouvelle enquête. Un livreur lui remet un carton long et étroit qui contient… une jambe humaine. Une jambe de fille, sectionnée net, laissant apparaître d’anciennes cicatrices près du mollet.

Cormoran Strike est unijambiste. Ce colis peut donc être rattaché à son infirmité. L’étiquette au nom de Robin ne recouvre-t-elle pas, d’ailleurs, une autre étiquette à son nom, comme si l’expéditeur s’était ravisé et avait changé, au dernier moment, le destinataire ? Quoi qu’il en soit, voilà un colis personnifié, signifiant. D’après Strike, seuls trois hommes peuvent avoir eu cette idée macabre. Trois hommes qu’il a croisés, trois individus maléfiques, parmi lesquels le dernier amant de sa mère.

L’infirmité de Strike, et sa notoriété depuis la résolution des deux affaires précédentes, lui valent un courrier abondant. Parmi les lettres reçues, des lignes déjantées que Robin entasse dans un tiroir réservé. Déjantées ? Ce roman nous apprend – ou, du moins, m’a appris – que certaines personnes souffrent de ce que l’on nomme « apotemnophilie », c’est-à-dire qu’elles désirent être amputées d’un membre. On est au-delà de l’automutilation. Ce trouble neurologique est un des ressorts de La Carrière du mal, sans doute le plus impressionnant. La jambe reçue par porteur serait-elle un hommage rendu au détective ?

Les meurtres s’enchaînent dans Londres, sur fond de mariage royal – celui du prince William et de Kate Middleton. Des meurtres qui rappellent un peu ceux de Jack l’éventreur, l’assassin découpant ses victimes. Robin et Strike suivent trois pistes à la fois, celles des trois hommes plus que violents que le détective soupçonne. Parallèlement à l’enquête sur l’éventreur, une autre intrigue doit être menée à bien. Robin doit épouser Matthew, apparemment sans enthousiasme. Cormoran, lui, poursuit sa liaison avec une femme superbe après de laquelle il s’ennuie. Entre le patron et son assistante, les sentiments évoluent, presque à leur insu. Mais les préparatifs du mariage de Robin se poursuivent… et Cormoran oublie de rompre avec sa belle amie…

Ce nouvel épisode des aventures de Strike et Robin remue le lecteur plus que les précédents. On revient sur l’adolescence de Cormoran, sur la vie infernale que le dernier compagnon de sa mère a fait mener a ce qui n’était pas vraiment une famille. On revient également sur la jeunesse de Robin, sur le traumatisme qu’elle a subi à l’université, et qui l’a empêché de poursuivre ses études. Le couple d’évidence, ce sont bien Robin et Cormoran qui l’incarnent. Cabossés chacun à sa manière, ils se comprennent, se brouillent, se complètent et s’éloignent. Ces deux-là, ils se sont bien trouvés. J.K Rowling parvient à créer un suspens autrement passionnant que la simple résolution de l’enquête. Et sait retourner le motif, créer la surprise, évoquer un désir que les protagonistes eux-mêmes ignorent.

Chaussures de mariage Jimmy Choo
Les titres des chapitres sont rythmés par les paroles des chansons du groupe Blue Öyster Cult, ce qui rajoute de l’infernal au roman, pour le lecteur avisé. Lectorat avisé dont je ne fais pas partie, peut-être suis-je passée à côté d’une des dimensions du livre. Il me semble, cependant, que ces en-têtes de chapitres ne sont qu’un « truc » un peu clinquant qui n’apporte rien. On sait depuis les deux opus précédents que le passé de Cormoran le lie irrémédiablement à la sphère du rock. On en apprend beaucoup plus, en revanche, sur le passé de Robin, qui n’est ni lisse ni rassurant. Soudain, l’assistante devient la véritable héroïne, attaquée, blessée, risquant sa vie. Héroïne qui parvient à trouver comment déjouer la surveillance dont elle fait l’objet en caressant le cuir couleur champagne de ses chaussures de mariage.

Ce roman se dévore, on l’aura compris. Il est plus que bien construit, et bien mené. Un bémol, toutefois : quelques passages donnent accès aux pensées de l’assassin. Dans l’économie générale de l’intrigue, on comprend pourquoi : le lecteur doit trembler pour la vie de Robin, qui est une cible. Cela dit, et c’est ce qui me gêne toujours dans les polars noirs, avoir accès aux pensées délirantes d’assassins d’enfants ou de femmes fait pencher la narration vers le bassement sordide. J.K. Rowling a un véritable talent de conteuse, elle est extrêmement habile dans la suggestion et l’évocation. Elle aurait pu faire l’impasse sur une facilité poisseuse.

La question reste entière. Bien sûr, ici, l’assassin est arrêté. Mais que vont-ils devenir, Cormoran et Robin ? L’épilogue est à la fois ouvert et fermé. On attend la suite…