vendredi 9 septembre 2016

Chanson douce de Leïla Slimani

Leïla Slimani, Chanson douce, éd. Gallimard, 18 août 2016, 240 pages.

Une nounou frapadingue poignarde les deux enfants qu’on lui a confiés. Voilà le pitch de Chanson douce, un roman qui lorgne vers La Main sur le berceau sans arriver à la nacelle dudit berceau, comme on dirait qu’il n’arrive pas à la cheville d’un scénario hollywoodien calibré. Un pitch dont on devine ce qu’en aurait fait Stephen King – mais le King n’en est plus là, la nounou poignardeuse, quand on a traité de main de maître le motif autrement angoissant et saisissant du clown assassin, ça fait un peu cheap.

Chanson douce apparaît sur la liste du Goncourt et sur celle du Renaudot. La lectrice s’interroge. Car enfin, ce roman n’est pas écrit, même s’il tente de raconter quelque chose. Il n’est pas écrit dans le sens où la narration, au présent ou au passé composé, n’offre aucune prise à la métaphore, à l’interprétation décalée, à l’empathie ou à la détestation. La trame n’est même pas une mécanique huilée. Ce que raconte le roman, finalement, s’appuie sur une psychologie détournée, et salement détournée. La nounou est frapadingue, quelques pauvres indices sont semés ici ou là – obsession du ménage, col Claudine considéré comme le summum de la tenue chic, éducation ratée de sa propre progéniture, etc., clichés clichés clichés. La nounou, donc, est folle. OK. Mais l’histoire se tord méchamment avec la figure de la mère de famille, celle qui confie ses enfants à cette folle furieuse. La mère a décidé de saisir l’occasion aux cheveux, elle qui avait fait des études de droit pour tout abandonner et élever ses enfants. La voilà embauchée dans un cabinet d’avocats. Et bien contente d’avoir déniché cette perle de nounou. Qui va tuer ses enfants.

Ce roman, que veut-il dire ? Qu’il faut rester au foyer et élever soi-même ses enfants ? Qu’il faut assumer sa vie de femme active et renoncer à procréer, parce qu’on ne sait jamais à qui l’on va confier la chair de sa chair ? Qu’un intérieur nickel, même briqué par une psychopathe en puissance, est le gage d’un foyer préservé et serein ? On peine à comprendre. Sans compter que le rôle du père est escamoté, petit fantoche, singulièrement épargné par le texte.


Chanson douce ressemble à une offensive marketing sous couvert de rentrée littéraire. A qui s’adresse ce roman ? Sans doute aux lectrices CSP+, femmes actives et mères débordées, qui rêvent de la nounou idéale, et à qui l’on promet ici un châtiment terrible. La rentrée littéraire 2016 de Gallimard est somptueuse : pour ne citer que trois titres : L’Insouciance de Karine Tuil, Crue de Philippe Forest, Livre pour adultes de Benoît Duteurtre. Chanson douce, jouant maladroitement avec les codes attendus de l’horreur et de la psychologie de comptoir, apparaît comme un roman évitable.