dimanche 3 mai 2015

Navaja, Dauphine & accessoires de Jean-Claude Tardif



Jean-Claude Tardif, Navaja, Dauphine & accessoires, nouvelles, éd. Rhubarbe, mars 2015, 120 pages.

Dix nouvelles composent ce recueil, mais la bonne définition est plutôt : dix nouvelles-chapitres composent ce recueil-roman. Les textes de Navaja, Dauphine & accessoires sont indépendants parce que chacun peut être lu comme un tout. Mais la somme de ces « tout » raconte une autre histoire, au cours plus long.
 
Le centre de ce roman-par-nouvelles est le Kebab de Yachar. S’y retrouvent des types éclopés de diverses façons, qui célèbrent une vie bancale autour de verres de vin et de conversations parfois décousues, rarement interrompues, où se mêlent la philosophie et le quotidien, la poésie et le trivial. La « navaja » du titre tient le rôle principal, objet symbolique du meurtre et de la passion. Le sang, c’est la mort et la vie. Dans une langue au plus près des personnages, typée, balancée, Jean-Claude Tardif invente et recrée un monde qu’à l’évidence il a exploré avec affection. Un monde qu’il aime, et qu’il célèbre.

Le roman-par-nouvelles est un genre à part entière, que Jean-Noël Blanc a théorisé avec humour et distance lors d’un colloque de Louvain-la-Neuve. « La technique du montage est maintenant familière aux lecteurs, comme le prouvent les thrillers destinés au grand public et qui sont bien souvent composés de fragments. Les ruptures, les sauts, le passage abrupt d'un plan à un autre, d'une scène à une autre, d'une tonalité à une autre, et l'interprétation de ces cassures, nous en faisons depuis bien long­temps le prin­cipe de notre perception des œuvres culturelles. » Dans Navaja, Dauphine & accessoires, il appartient effectivement  au lecteur de faire le montage final. De gros plans en plans larges, d’ellipses en flash-back, le livre de Tardif se décline aussi en caméra subjective, en suivant un « je » polymorphe et trompeur.

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Extrait :

« Ils étaient si beaux quand ils sont entrés, que je n’avais pas pu m’en approcher, de crainte de rompre le charme, de déranger quelque chose dans l’espace, de bouleverser la grâce qui venait de passer ma porte. Je ne les connaissais pas mais bien qu’ils fussent étrangers au lieu, il me sembla revoir à travers eux un autre couple »… (p.75)

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NB : merci à Serge Cabrol, le directeur d’Encres Vagabondes, pour les références sur le roman-par-nouvelles. On pourra lire aussi, sur EV, l'article de Dominique Baillon-Lalande à propos de cet ouvrage.