lundi 31 août 2015

Profession du père de Sorj Chalandon



Sorj Chalandon, Profession du père, Grasset, août 2015, 320 pages.

Emile Choulans a douze ans en 1961. Il vit à Lyon – la ville est reconnaissable, même si elle n’est jamais nommée – dans un appartement étroit, entre son père et sa mère. Emile est un collégien aux résultats médiocres, il n’aime que le dessin. Il est asthmatique. Chez les Choulans, on ne reçoit jamais personne, on ouvre rarement les volets. La mère travaille dans une compagnie de transports, rentre à l’appartement le soir, épluche des légumes, parle peu. Son leitmotiv est « tu sais comment est ton père » lorsqu’elle s’adresse à son fils.

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vendredi 28 août 2015

D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan



Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, éd. J.C. Lattès, août 2015, 482 pages.

Un écrivain prénommé Delphine vit un passage à vide après le succès de son dernier roman, dont le personnage principal était sa mère, bipolaire. Cet écrivain prénommé Delphine a pour compagnon – même s’ils ne vivent pas ensemble – un critique littéraire prénommé François, qui part très souvent aux Etats-Unis pour y tourner des documentaires sur les auteurs qui le fascinent. Sur la jaquette du livre, trois photos d’identité d’une jeune femme blonde d’une vingtaine d’années, aux cheveux mi-longs, ni raides ni bouclés. L’auteur est Delphine de Vigan. Est-ce que l’écrivain qui dit « je » dans le roman est également elle ? Peut-être. Peut-être pas. Le titre, D’après une histoire vraie, suggère une assise sur le réel, et permet l’intervention de la fiction. C’est d’ailleurs tout l’enjeu du propos.

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mercredi 26 août 2015

Un amour impossible de Christine Angot


Christine Angot, Un amour impossible, éd. Flammarion, août 2015, 220 pages.

Un amour impossible est le roman de la rencontre des parents de Christine Angot, de l’enfance de la fillette avec sa mère, des apparitions épisodiques du père, de… Oui, le livre raconte cela, et aussi la complicité, l’amour entre la fille et la mère. Mais Un amour impossible est la recherche de l’explication d’un silence.


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Le Cœur du problème de Christian Oster



Christian Oster, Le Cœur du problème, éd. de l’Olivier, août 2015, 192 pages.

Simon rentre chez lui, et trouve un homme mort dans son salon. Il lève les yeux, s’aperçoit que la balustrade de la mezzanine est cassée. Le type, donc, est tombé de là-haut. A été poussé ? Par qui ? Sa compagne Diane ? Celle-ci, médecin, doit être encore à l’hôpital, elle y est tous les vendredis après-midi. Mais Simon trouve Diane dans la maison, elle est en train de prendre un bain, et refuse de parler. Elle s’habille et s’en va. Voilà Simon face à face avec le cadavre. Que faire ?

L’intrigant Cœur du problème de Christian Oster débute comme un polar, ou un roman noir. Simon est le narrateur, ce qui ajoute à la pression que ressent le personnage. Mais il n’y a pas de réel affolement de la part de Simon, ni de colère. Une sorte de lassitude, ou d’apathie, s’empare de lui, avant qu’il ne se secoue plus ou moins, place le cadavre dans le coffre de sa voiture, et parte pour la ville voisine donner une conférence sur la guerre de cent ans. Pains de glace pour conserver le corps ? Il faudrait en acheter une centaine, à Ikea, et cela ne passerait pas inaperçu à la caisse. Trou creusé dans le jardin ? Oui, pourquoi pas… Du côté du potager…

L’un des aspects les plus intéressants de ce roman est le décor. Dans une ville, l’intrigue aurait été toute différente. Dans Le cœur du problème, nous évoluons à la campagne, quelque part en Normandie. Les routes sont plus ou moins désertes, les amis rares et encombrants, les temps morts nombreux. Diane ne répond pas au téléphone, et Simon décide d’aller déclarer sa disparition à la gendarmerie, histoire de prendre l’initiative sur une éventuelle enquête. S’il s’inquiète de la disparition de sa compagne, personne n’ira penser que… La gendarmette de service, à l’accueil, le rabroue plus ou moins, mais Henri, un gendarme qui prend sa retraite le jour-même, intervient dans la déposition.

Dès lors, Simon et Henri ne vont pratiquement plus se quitter. Commence une sorte de virée somnambulique, fantaisiste et anxiogène. Henri joue-t-il au chat et à la souris avec Simon ? Pourquoi Simon accepte-t-il de passer quelques jours chez la belle sœur d’Henri, avec le désormais ancien gendarme et son épouse ? Et que signifie cette descente de rivière en barque, parfaitement surréaliste ? Les épisodes s’enchaînent, comme dans un cauchemar éveillé : une fête dans un donjon remis à neuf, une maîtresse de maison plus très maîtresse d’elle-même, des conversations à double-sens, des faux-fuyants et des aveux.

Le Cœur du problème se lit sans temps mort, le lecteur avance en voulant savoir comment tout cela peut finir puis, la fin du roman venue, se satisfait d’un épilogue en forme d’équilibrisme. La résolution reste suspendue au bord du vide. L’écriture de Christian Oster, enroulée, compliquée, ajoute une part supplémentaire de malaise à la situation. Le lecteur suit les pensées méandreuses de Simon et avance avec lui. On s’est éloigné du roman noir, ou du polar. On s’est rapproché de l’observation des mœurs de la rurbanité contemporaine, peu éloignées de la province d’antan.

*

Extrait

« Henri, donc. En civil. J’étais en robe de chambre. On constatera que, alors que j’avais la possibilité de ne pas le faire, j’étais allé ouvrir. Ça pouvait être la factrice. Non que j’eusse attendu un recommandé. Je veux dire que ça pouvait être quelqu’un. Je commençais à ressentir le besoin d’avoir de la compagnie. Plutôt pas Paul, évidemment. Mais n’importe qui d’autre, ça m’allait. Plutôt pas Henri, évidemment. Mais, alors que j’avais eu tendance à m’isoler, après que les circonstances m’avaient amené à l’être de toute façon, isolé, je constatais que je ne me suffisais plus, que mon état d’égarement et d’inquiétude ne suffisait plus à me combler, et que, quitte à vivre avec la pensée de Diane au loin et celle du mort tout proche, situation dont la permanence me semblait pour l’instant à toute épreuve, j’aurais aussi pu inviter des gens à dîner ». (p. 80)