samedi 7 novembre 2015

La Logique de l’amanite de Catherine Dousteyssier-Khoze



Catherine Dousteyssier-Khoze, La Logique de l’amanite, Grasset, août 2015, 224 pages.

De la mycologie considérée comme un des beaux arts

Nikonor Pierre de la Charlanne a cent ans, il vit seul dans son château limousin. Il attend qu’on vienne l’assassiner. Que sa sœur jumelle, Anastasie, à laquelle il voue une haine exemplaire depuis toujours, envoie quelqu’un pour le tuer. De mort et d’assassinat, il est beaucoup question dans ce roman étrangement suranné, qui ne s’inscrit dans aucune des lignes du temps littéraire contemporain. Les mémoires que le vieil hobereau de province rédige sur un cahier à couverture rose relatent, sur le mode de l’implicite, sa vie de serial killer.

Nikonor a passé, avec sa sœur, une enfance solitaire et retirée. Le château de la Charlanne est sis au fin fond de la Corrèze, isolé de tout et de tous. La mère était une Anglaise quelque peu évaporée et le père passionné par l’étude des champignons : « Des années de recherche l’avaient convaincu que la région produisait au moins trois espèces de champignons non répertoriées par la mycologie. » Des précepteurs viennent instruire les deux enfants, et parfois disparaissent. Nikonor suit les traces de son père de façon quelque peu détournée. Il s’intéresse lui aussi aux champignons, mais de manière presque exclusive aux cèpes et aux amanites. Aux cèpes pour leur beauté formelle, aux amanites pour d’autres raisons qu’esthétiques… Il avoue : « J’ai, pour ma part, toujours abordé la mycologie dans une perspective résolument pluridisciplinaire. » Son monde idéal est sylvestre, son paradis est un sous-bois : « Sans donner dans un panthéisme cosmique grandiloquent, disons simplement que j’ai toujours préféré la compagnie des forêts et des champignons à celle de mes semblables. » D’ailleurs, les champignons, il ne les consomme pas, il leur est pour ainsi dire très attaché. En revanche, lorsqu’il s’agit des hommes et des femmes…

Nikonor est un homme imbu de sa personne, qui avance dans le siècle en s’émerveillant des avancées technologiques, mais qui reste un indécrottable misanthrope. Il s’exprime avec hauteur, dans une langue travaillée ponctuée d’expressions anglaises. Il répond avec morgue au questionnaire de Proust, indiquant dans une de ses réponses que son auteur contemporain préféré est Michel Houellebecq. La Logique de l’amanite est un roman à l’humour très anglais, moins noir que lie-de-vin, comme les chapeaux des plus beaux bolets. La contribution de Nikonor à la mycologie appliquée est peut-être le symptôme d’une vie de province étriquée. Mais l’explication sociologique ou psychologique est à mille lieues de cette confession déroutante, toute en ellipse.

Un premier roman bien intrigant.

Bonus
Brève de comptoir (Jean-Marie Gourio) : « Le Français est capable de donner des Juifs pendant la guerre, mais dire un coin à champignons, ça, jamais ! » A la fin du roman, Nikonor brûle les cartes Michelin sur lesquelles il avait répertorié minutieusement les coins à cèpes de Corrèze…