lundi 18 avril 2016

Surprise 15 – De la critique web en général et de la chronique en particulier


Je n'ouvre ni polémique ni débat. Et il n'y a même pas de "mais". Je viens de lire l'éditorial (1) publié sur une revue en ligne à laquelle j'ai contribué, et dont j'ai été rédac-chef (ce titre ne signifiait rien) avant d'en claquer la porte virtuelle. Je ne comprends pas vraiment la teneur de cet éditorial, j'y décèle une espèce de mise au point dont les tenants et aboutissants m'échappent. La raison véritable de l'édito se situant, à mon sens, « en creux » (la pré-conclusion « dont acte » me le laissant penser). Il semble s'agir d'une réponse, ou riposte, à une attaque dont l'internaute ignore tout (dont, pour ma part, j'ignore tout).

Mais cet édito mystérieux, ou crypté, a le mérite de soulever le problème de la dénomination, sans toutefois le résoudre. Qui sont les « experts » de la critique littéraire ? Et qu'entend-on par « critique » en dehors du champ universitaire, ou journalistique ? Il y a un monde entre les expertises de spécialistes et les « j’aime/j’aime pas » des booktubeurs cantonnés à la chick-lit. « L'irruption des lecteurs comme acteurs de l'écriture » est, me semble-t-il, antérieure à l'apparition des réseaux sociaux, il faudrait étudier le truc. Et « le couple infernal écrivain/critique » continue de se déchirer, même si la notion de « critique » a perdu, ou disséminé, ses critères.

Je remplacerais volontiers le mot "critique" par celui de "chroniqueur"
Au terme de « critique », je préfère celui de « chroniqueur ». La critique, pour moi, reste universitaire (2). Comme on parle d' « édition critique ». En français, évidemment, le terme est chelou, parce que critiquer, c'est aussi dire du mal. Une critique qui dit du bien tombe dans l'oxymore de la langue courante. La critique peut aussi prendre la forme d’un essai circonstancié, rédigé sur le long terme, publié et reconnu (3). La chronique, elle, induit le passage du temps, celui de la lecture, de la réflexion, et de la publication de ladite réflexion, à date plus ou moins fixe. Et le vrai chroniqueur, à mon sens, est celui qui sait plonger au cœur du texte, le mettre en perspective, et rédiger son papier avec une belle plume. Je songe à Pierre Lepape. Le chroniqueur est, bien entendu, libre dans sa parole. Sinon... c'est un vendu.

Je n'aime pas l'image du « salon littéraire » sur la toile, parce qu'un salon, par définition, c'est « cosy », et que le web, c'est « wide ». Voire « wild ».

Je ne sais pas qui sont ces « experts littéraires » visés par l'édito sus-évoqué. Par les temps qui courent, le terme d' « expert » est d'ailleurs assez polémique, surtout en ce qui concerne l'analyse géo-politique. Un critique (universitaire) est reconnu par ses pairs - même si cette reconnaissance est aussi sujette à caution - alors qu'un expert est décrété tel par l'urgence de l'actualité en marche. Là encore, les mots perdent - ont perdu - leur sens. Ou le justifient, justement, du point de vue de l’actualité. Les maisons d’édition qui misent sur les blogueurs pour réagir quasi instantanément à une publication l’ont bien intégré à leur plan de communication. Mais le « bouche à oreille », même numérique, n’a jamais été le signe de la véritable qualité – nous avons, tous, des exemples contraires, n’est-ce pas ?, et des déceptions abyssales... Le truchement amical a laissé la place au buzz, qui n’en est que la forme contemporaine. Une sorte de tromperie sur la marchandise.

Il est venu le temps, peut-être – le temps « internet », différent de celui de ces déjà vieilles montres Swatch qui égrenaient un temps imaginaire – de se pencher sur l’appréciation, dans tous les sens du terme, de la « lecture des lecteurs ». Ou pas. Ou pas encore.

Cela dit, je retourne à mes coloriages, au visionnage pour la 11e fois de la saison 2 de Fringe (qui est de loin la meilleure !) et demain, je te parle d’un roman US avec ma copine Virginie (4).

*

Notes

(2) Pour ma part, je peux te faire une lecture critique de l’œuvre d’Ernesto Sábato, c’était ma spécialité universitaire.
(3) Je songe ici à bien des essais, mais prioritairement à celui qu’Hubert Haddad a consacré à Julien Gracq (éd. Zulma, 2004).
(4) Nous sommes, elle et moi, deux rescapées de la même revue en ligne.