mercredi 27 septembre 2017

Zero K de Don DeLillo


Don DeLillo, Zero K, traduit de l’anglais (USA) par Francis Kerline, éd. Actes Sud, septembre 2017, 300 pages.

Donner comme titre à un roman l’expression d’une température induit une toile de fond narrative singulièrement humaine. Par exemple : le 37,2° le matin de Djian  renvoyait à une exploration féminine, entre fièvre et ovulation. Le Zero K de DeLillo nous entraîne sur des voies plus essentielles, débouchant sur le carrefour ultime : celui de la mort. Ne voyons dans cette introduction qu’une analogie de température et de titre, et rien d’autre. Avec Don DeLillo, on le sait, nous sommes dans le roman et ailleurs, nous sommes lecteurs et partie prenante. Dans Bruits de fond, l’ombre de la mort changeait de statut, de possible à probable, après le passage d’un nuage toxique. Les personnages de ce roman oscillaient entre refus et acceptation de l’inéluctable – c’est là un raccourci très… raccourci, qui ne rend pas compte de l’ampleur du roman, on le comprendra. Dans Zéro K, la mort est envisagée selon plusieurs angles, qui vont de la science à l’art contemporain, de l’industrialisation du suicide à la mise en scène du stockage. Dit ainsi, ça paraît effrayant. Et ça l’est. Voilà pourquoi une narration distanciée était absolument nécessaire.

vendredi 15 septembre 2017

Ego, Ariel et moi, suivi de Oh, Bigdata ! de Georges-Olivier Châteaureynaud

Georges-Olivier Châteaureynaud, Ego, Ariel et moi, suivi de Oh, Bigdata !, éd. Le Verger Editeur, septembre 2017, 48 pages.


Les deux nouvelles de ce recueil nous transportent dans un univers familier et détourné, anticipé. Selon les lois du genre, puisqu’il y a « machine », on est en science-fiction. Dans Ego, Ariel et moi, et dans Oh, Bigdata !, il y a effectivement science, et effectivement fiction. Mais il y a surtout plongée dans la psyché intemporelle. Tout l’art de Châteaureynaud est à l’œuvre dans ces deux textes impeccables, où l’émotion et l’empathie le disputent à l’observation minutieuse de nos solitudes.

Deux textes qui se répondent et presque s’entrecroisent. Pourtant, les destinées des deux personnages principaux – deux hommes, dans la force de l’âge – sont soumises à deux volontés différentes. Dans Ego, Ariel et moi, c’est bien le narrateur qui décide de la flèche que prendra désormais sa vie. Il se commande un robot, puisque la loi le lui permet. Mais au lieu de choisir un modèle sur catalogue, il choisit d’en faire fabriquer un qui lui ressemble trait pour trait, et qu’il nomme dans un premier temps « toi ». « Je suis toi » lui dit le robot. Lorsque le logiciel de l’androïde est mis à jour, la machine a dans le regard quelque chose de désarçonnant, que personne ne peut déceler, à part son propriétaire… Dans Oh, Bigdata ! un logiciel plus ample, gérant la destinée de chacun, vient annoncer par la voix d’un « rectificateur » à un vendeur de chaussures que la vie qu’il vit n’est pas la bonne, qu’il doit abandonner son commerce, sa femme et ses employés, et même ses vêtements, et s’installer en banlieue nord, dans une HLM où l’attendent une femme et sa fille adolescente. Mais l’attendent-elles vraiment ? Et l’ex-chausseur deviendra-t-il le peintre qu’il a toujours rêvé d’être ?

Les programmes informatiques, dans ces deux textes, apparaissent comme des chances pour les deux hommes. Des chances, des sursauts, une façon de faire basculer la vie, dans le bon sens croient-ils. La résignation dont ces deux hommes font preuve est le signe de l’absurdité de l’existence, motif courant dans toute l’œuvre de Georges-Olivier Châteaureynaud. On n’a prise sur rien, au fond. On se débat petitement, avec ses petits moyens, et l’on en tire sinon satisfaction, tout au moins apaisement. On suit des rails dont le tracé est obscur, on s’enfonce dans une logique impénétrable, comme on le dirait d’une forêt touffue. Le sens de la vie est inconnaissable, mais cela n’empêche pas quelques petits espoirs, quelques enjambées minimes. On se bat avec les armes fragiles des cœurs tendres.

En clin d’œil à ses lecteurs fidèles et attentifs, Georges-Olivier Châteaureynaud sème de petits indices qui dessinent un autoportrait : les initiales G et O du prénom, que l’on retrouve dans Ego, mais qui parsèment l’œuvre entière ; l’allusion, en détour de phrase, à la rousseur. Cet autoportrait est autant physique que psychique. Ego, Ariel et moi, et Oh, Bigdata ! sont des textes qui interrogent l’identité et la personnalité à l’heure de la domination du code en 0 et 1. Malicieusement, Châteaureynaud s’insinue dans un code en passe de nous diriger, de nous administrer, et replace l’existence humaine sur une trajectoire personnelle où les objets du quotidien – une voiture virant à l’épave, ou un vieux poêle Godin – acquièrent une terrible force évocatrice.

C’est bien en partant d’une expérience toute personnelle, toute intime, que Châteaureynaud nous donne à voir l’ampleur de nos propres vies. Nous sommes, dans ces textes-là, le cœur du sujet. Sujet servi par une langue magnifique. Un style. Une élégance.  


dimanche 10 septembre 2017

Ascension de Vincent Delecroix

Vincent Delecroix, Ascension, éd. Gallimard, 24 août 2017, 640 pages.


L’époque est à la religion, on pourrait difficilement le nier. A la religion prise au sérieux ; à la croyance remise, dans notre société laïque, au cœur d’un débat que l’on croyait clos depuis un bon bout de temps. L’époque n’est pas à la picaresque, et si du point de vue littéraire – dans le domaine français notamment – l’imaginaire a repris quelques droits, le ton des romans est souvent convenu, peu inventif, et les auteurs comme sur la défensive. Vincent Delecroix, avec Ascension, fait figure, en cette rentrée 2017, de ludion magnifique. Il ne prend pas pour sujet la religion en elle-même, ni – surtout pas ! – la religiosité ou la dévotion, mais plutôt le renoncement d’un dieu à sa mission divine, d’un Messie à sa mission messianique. Il ne place pas son lecteur au cœur d’un débat convenu, il l’entraîne sur des chemins dostoïevskiens. Il ne reste pas au ras des pâquerettes, il nous transporte dans l’espace. Lequel espace, soit dit en passant, n’est pas le Ciel mais quand même un peu, et c’est là sans doute la base avérée de ce roman foutraque et roboratif, de ce gros roman de plus de 600 pages qui se dévore et se savoure à la fois, qui alterne les moments de pur récit historique ou réaliste avec des dialogues présentés comme sur un script et des plages de réflexion métaphysique. 


samedi 2 septembre 2017

La Serpe de Philippe Jaenada

Philippe Jaenada, La Serpe, éd. Julliard, 17 août 2017, 648 pages.

Georges Arnaud (et non G.J. Arnaud, erreur souvent commise) est l’auteur du Salaire de la peur. Dans ce roman, adapté pour la première fois par Henri-Georges Clouzot avec Yves Montand et Charles Vanel dans les rôles principaux – et c’est ce film-là que nous avons en mémoire –, Georges Arnaud recycle une partie de son expérience sud-américaine, ainsi qu’une histoire qu’on lui a racontée là-bas : transporter de la nitroglycérine en camion, et risquer sa vie à chaque cahot. Georges Arnaud s’appelle en réalité Henri Girard. A l’âge de 24 ans, il a été accusé d’avoir massacré son père, sa tante et la bonne dans le château familial de Dordogne. Maître Garçon l’a fait acquitter.

La serpe, qui donne son titre au roman-enquête de Philippe Jaenada, c’est l’arme du crime. Non pas la serpe emblématique du druide Panoramix, cette faucille en forme de croissant de lune, mais un outil de jardiner aguerri, qui tient un peu du hachoir, et dont la pointe, recourbée en bec de perroquet, intrigue autant qu’elle effraie. Un objet terrible. Cette serpe, Henri Girard l’a empruntée la veille des crimes aux gardiens du château. Henri est le seul survivant du massacre, il était présent mais n’a rien vu ni rien entendu, il semble jouer au type décontracté lorsque les enquêteurs arrivent, propose des cigarettes à la ronde, ne s’effondre pas. Tout l’accuse.

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