vendredi 15 septembre 2017

Ego, Ariel et moi, suivi de Oh, Bigdata ! de Georges-Olivier Châteaureynaud

Georges-Olivier Châteaureynaud, Ego, Ariel et moi, suivi de Oh, Bigdata !, éd. Le Verger Editeur, septembre 2017, 48 pages.


Les deux nouvelles de ce recueil nous transportent dans un univers familier et détourné, anticipé. Selon les lois du genre, puisqu’il y a « machine », on est en science-fiction. Dans Ego, Ariel et moi, et dans Oh, Bigdata !, il y a effectivement science, et effectivement fiction. Mais il y a surtout plongée dans la psyché intemporelle. Tout l’art de Châteaureynaud est à l’œuvre dans ces deux textes impeccables, où l’émotion et l’empathie le disputent à l’observation minutieuse de nos solitudes.

Deux textes qui se répondent et presque s’entrecroisent. Pourtant, les destinées des deux personnages principaux – deux hommes, dans la force de l’âge – sont soumises à deux volontés différentes. Dans Ego, Ariel et moi, c’est bien le narrateur qui décide de la flèche que prendra désormais sa vie. Il se commande un robot, puisque la loi le lui permet. Mais au lieu de choisir un modèle sur catalogue, il choisit d’en faire fabriquer un qui lui ressemble trait pour trait, et qu’il nomme dans un premier temps « toi ». « Je suis toi » lui dit le robot. Lorsque le logiciel de l’androïde est mis à jour, la machine a dans le regard quelque chose de désarçonnant, que personne ne peut déceler, à part son propriétaire… Dans Oh, Bigdata ! un logiciel plus ample, gérant la destinée de chacun, vient annoncer par la voix d’un « rectificateur » à un vendeur de chaussures que la vie qu’il vit n’est pas la bonne, qu’il doit abandonner son commerce, sa femme et ses employés, et même ses vêtements, et s’installer en banlieue nord, dans une HLM où l’attendent une femme et sa fille adolescente. Mais l’attendent-elles vraiment ? Et l’ex-chausseur deviendra-t-il le peintre qu’il a toujours rêvé d’être ?

Les programmes informatiques, dans ces deux textes, apparaissent comme des chances pour les deux hommes. Des chances, des sursauts, une façon de faire basculer la vie, dans le bon sens croient-ils. La résignation dont ces deux hommes font preuve est le signe de l’absurdité de l’existence, motif courant dans toute l’œuvre de Georges-Olivier Châteaureynaud. On n’a prise sur rien, au fond. On se débat petitement, avec ses petits moyens, et l’on en tire sinon satisfaction, tout au moins apaisement. On suit des rails dont le tracé est obscur, on s’enfonce dans une logique impénétrable, comme on le dirait d’une forêt touffue. Le sens de la vie est inconnaissable, mais cela n’empêche pas quelques petits espoirs, quelques enjambées minimes. On se bat avec les armes fragiles des cœurs tendres.

En clin d’œil à ses lecteurs fidèles et attentifs, Georges-Olivier Châteaureynaud sème de petits indices qui dessinent un autoportrait : les initiales G et O du prénom, que l’on retrouve dans Ego, mais qui parsèment l’œuvre entière ; l’allusion, en détour de phrase, à la rousseur. Cet autoportrait est autant physique que psychique. Ego, Ariel et moi, et Oh, Bigdata ! sont des textes qui interrogent l’identité et la personnalité à l’heure de la domination du code en 0 et 1. Malicieusement, Châteaureynaud s’insinue dans un code en passe de nous diriger, de nous administrer, et replace l’existence humaine sur une trajectoire personnelle où les objets du quotidien – une voiture virant à l’épave, ou un vieux poêle Godin – acquièrent une terrible force évocatrice.

C’est bien en partant d’une expérience toute personnelle, toute intime, que Châteaureynaud nous donne à voir l’ampleur de nos propres vies. Nous sommes, dans ces textes-là, le cœur du sujet. Sujet servi par une langue magnifique. Un style. Une élégance.