mardi 21 novembre 2017

Regards croisés (30) – La Fonte des glaces de Joël Baqué

Regards croisés
Un livre, deux lectures – en collaboration avec Virginie Neufville

Joël Baqué, La Fonte des glaces, éd. P.O.L, août 2017, 288 pages.

Voilà un roman comme on en lit peu, qui s’inscrit dans une veine décalée, entre loufoquerie et étude de mœurs. Un grand bol d’air frais – et plus que frais – en cette rentrée littéraire.

Louis est veuf, sans enfant, retraité. Il s’ennuie dans son pavillon, il vivote selon une routine parfaite : prendre le café au bistrot le matin, puis s’asseoir sur un banc face au port de Toulon. Un jour de brocante, alors qu’il ouvre la porte d’une armoire flamande pour en inspecter l’intérieur, il tombe nez à bec avec un manchot empereur empaillé. C’est le début d’une aventure ahurissante, qui commence doucettement par l’installation dudit manchot dans le grenier du pavillon toulonnais réfrigéré, se poursuit dans les glaces polaires et finit en apothéose marketing sur le business des icebergs. Ce roman a quelque chose des meilleurs films des frères Coen dans la succession d’épisodes de plus en plus foldingues mais découlant les uns des autres avec une logique imparable, et peut faire aussi penser, parfois, à Gros Câlin de Gary/Ajar. La solitude du personnage principal le conduit à s’attacher à un animal empaillé, à lui dénicher onze autres copains sur internet, à passer ses journées auprès de ce qu’il appelle sa « Dream Team » : Louis, emmitouflé dans ses moon-boots et dans son anorak pour affronter le froid de son grenier transformé en banquise – alors que dehors, à Toulon, il fait un cagnard à tout casser – est un être en devenir, et il ne le sait pas encore. Il végétait dans sa Provence, il va découvrir le monde, et le monde va le découvrir.

Une telle histoire, déjantée et tendre, ne tiendrait pas sans le style. La langue de Joël Baqué est parsemée de trouvailles, de surprises, et coule sans affèterie. La vie de Louis nous est donnée de sa naissance à sa vieillesse, dans des épisodes marquants parfaitement enchaînés, écrits sur le ton de l’humour mais au plus près de la fragilité du personnage. Louis est né en Afrique « d’une mère carcassonnaise et d’un père comptable », père qui mourra sous les pattes d’un éléphant. Adolescent, il est amoureux de Chantal Garage, à qui il dédie des raps sirupeux – si l’on peut parler ainsi – puis il épouse Lise, avec qui il tiendra une charcuterie à Toulon. Homme simple, aimant les plaisirs, épanoui dans son métier, il n’a rien d’un aventurier. Pourtant, quelque chose en lui sommeille, qui ne s’est pas encore manifesté. La découverte du manchot empereur empaillé sert de déclic. Il ne suffit pas de rester enfermé au grenier, il faut aller sur le territoire du paradis blanc. Et le voilà au pôle sud, silhouette improbable revêtue d’une combinaison orange, pelant de froid sur une moto-neige :
« Il a fait  ce qu’il fallait pour être là, dans la patrie du manchot empereur, après s’être posé maintes questions d’ordre pratique mais aucune sur la nécessité profonde de ce voyage au bout du froid. Just do it, aurait-il pu dire. Il s’était transporté de Toulon en Antarctique en plusieurs étapes physiques mais d’un seul jet mental, comme il offrait jadis un bouquet de persil aux clients sans y penser, parce que c’était la chose à faire. »
Le style de Joël Baqué ne tient pas seulement au maniement de la langue, il réside aussi dans l’évitement soigneux de la sensiblerie. Il aurait été facile de décrire selon des canons larmoyants la solitude d’un veuf provençal qui s’ennuie. Baqué donne à son personnage un destin de messie, et le roman est écrit comme un évangile irrévérencieux. Ce petit homme, dont la caractéristique première est de dodeliner de la tête parce qu’il ne sait pas toujours quoi dire, est pris dans la parade amoureuse d’une manchote sur la banquise du pôle sud, mange des biscuits soviétiques revenus dans la graisse de phoque, se retrouve au nord du nord sur un chalutier qui chasse l’iceberg pour en revendre l’eau à des prix prohibitifs, traverse un trip d’acide sans bien s’en rendre compte, et devient une icône mondiale. Si c’est pas un destin, ça…

Le lecteur suivra avec délice les aventures de Louis, et découvrira des personnages annexes d’un comique jubilatoire. La commercialisation des banquises – l’eau préhistorique ! –, la mise en place d’un business plan redoutable et d’une communication très XXIe siècle ajoutent une note moqueuse et tonique au roman.

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NB : Je ne connaissais pas cet écrivain, et je m’en vais découvrir de ce pas tous ces ouvrages antérieurs…